Professeur de Haan, comment définiriez-vous le futur ? Est-il une projection déterminée par des événements passés, ou un espace-temps offrant d'infinies possibilités ?
De mon point de vue, ce serait un peu les deux. Avec tout ce que nous avons déjà réalisé par le passé et ce que nous accomplissons à l’heure actuelle, l’avenir est déjà en cours de réalisation, car c'est là où se produiront les conséquences de nos actes passés et présents. D’un autre côté, rien n’est prédéterminé au point que toute projection ou nouvelle idée personnelle serait superflue. Sinon, cela nous laisserait croire qu’il est possible de prédire l’avenir. Nous n'aurions plus qu’à rester les bras croisés tout en nous demandant à quoi bon entreprendre, puisque ce que l’avenir nous réserve finira de toute façon par arriver. Or, l'avenir n’est pas prédéterminé. Même un prévisionniste n’opère qu’avec des probabilités. Prenons pour exemple le changement climatique. Les prévisionnistes argumentent en disant qu’une poursuite de la hausse des températures se profile à l’horizon, et que si l’on ne change pas de comportement, c’est exactement ce qui va se produire. Sur ce point, les chercheurs en prospective déclarent : une poursuite de la hausse des températures est probable, et si nous voulons en éviter les conséquences à l’échelle planétaire, alors il faut trouver d’autres options pour l’avenir, en ce qui concerne la manière dont nous gérons notre économie, dont nous vivons et dont nous nous déplaçons.
En tant que chercheur en prospective en cette époque incertaine, êtes-vous plus sollicité que jamais ?
Disons que l’on remarque une quête croissante de réponses qui n’ont pas trait à la maîtrise des pandémies sur le court terme. Confronté à la grande dynamique des mutations sociétales et à un niveau élevé d’innovations, on nous demande aujourd’hui bien plus fréquemment que par le passé de définir les nouvelles options qui s’offrent à nous, ou les modifications qui doivent être envisagées. Ce faisant, nous essayons toujours de créer de manière participative – souvent avec des acteurs sur place – des idées pour le futur et de replacer ces possibilités dans un contexte plus vaste. Autrement dit, nous n'allons pas nous limiter à un seul secteur comme l’industrie automobile, une institution ou encore l’école. C’est le contexte plus large qui nous intéresse - telles les mégatendances - et ses répercussions possibles sur différents secteurs ou institutions.
Vous analysez les processus de transformation de la société. Quelle démarche suivez- vous ?
La prospective ne se base pas sur des prévisions au sens strict du mot, avec analyse de probabilités statistiques. Nous travaillons avec des probabilités, mais dans l’acceptation courante que chacune a de ce terme. Il s’agit plutôt d’évolutions probables reposant essentiellement sur des plausibilités. Nous essayons de trouver des raisons tangibles de prévoir certaines évolutions à venir. Les prévisions présentent peu d’intérêt dans ce cas de figure. L’évolution de certaines réalités ne peut que rarement être prédite de manière purement linéaire ou exponentielle. Nous cherchons les explications permettant de justifier la poursuite, ou l’arrêt, de telle ou telle évolution. Mais nous accordons également une place importante au passé, car nous cherchons tout ce qui s’inscrit dans la durée. Quelles sont les évolutions qui ont cours depuis longtemps ? Elles nous donnent beaucoup d'indices et d'éclairages.